28 septembre 2016

Après le Brexit



Observatoire de l’Europe par Robert Toulemon
27 septembre 2016
Après le Brexit

Notre Union européenne est, en cet automne, plongée dans une crise existentielle dont le référendum britannique du 23 juin et la crise des réfugiés sont les deux principaux éléments. Le climat d’euroscepticisme plus ou moins teinté de nationalisme qui s’est répandu partout ne permet pas le sursaut qui devrait s’imposer face notamment au terrorisme islamiste.
Le Brexit
 Pour la première fois un de ses Etats membres décide de quitter l’Union suivant les dispositions introduites par le traité de Lisbonne. Est ainsi démontré que l’Union n’est pas une prison. Le choc n’en est pas moins considérable. Le Royaume-Uni avait multiplié les oppositions aux mesures intégratrices et obtenu nombre de dérogations, la principale concernant l’union monétaire. Cameron avait arraché la possibilité de restreindre les droits sociaux des migrants dans un pari qui s’est révélé perdant. La nouvelle Première ministre Theresa May, sans s’être fortement engagée, était favorable au maintien dans l’Union comme la majorité des membres du Parlement. Le succès du Brexit est celui des catégories populaires les plus âgées et les moins instruites. Cameron pouvait difficilement plaider les avantages de l’UE après en avoir constamment dénoncé les contraintes.
Le traité prévoit un délai de deux ans pour la négociation des conditions du retrait et des futures relations avec l’Union. Le point de départ du délai n’est pas la date du référendum mais celle de la notification de la décision de retrait par le gouvernement britannique. Ce dernier, n’ayant pas prévu l’hypothèse du retrait, manifeste si peu de hâte que d’aucuns se demandent si la décision sera jamais prise. On s’interroge aussi sur l’éventualité d’un vote du Parlement. Mme May a voulu balayer ces doutes par la formule « Brexit means Brexit » sans pour autant avoir donné la moindre indication au sujet du statut qu’elle souhaite obtenir et qui divise les membres de son gouvernement. Parmi les différentes formules envisageables (modèles norvégien, suisse, turc), on peut prévoir que les Britanniques s’efforceront de conserver le plein accès au marché unique tout en limitant l’ouverture du royaume aux migrants venant de l’UE. Ce point, celui de leur contribution au budget et celui du statut de leurs établissements financiers laissent prévoir une négociation difficile. L’UE va vivre plusieurs années une situation paradoxale. A l’exception des négociations du Brexit, le Royaume-Uni continuera à participer aux instances et aux décisions. Ainsi un nouveau commissaire britannique, Julian King, s’est présenté devant le Parlement européen. Il sera en charge des questions de sécurité. Il succède à Jonathan Hill qui avait d’autres responsabilités (services financiers) et qui avait démissionné après le référendum. Jean-Claude Jungker a désigné Michel Barnier en vue, dit-on, de garantir le rôle de la Commission dans la négociation.
Ce « Brexit » a révélé la profondeur de la coupure entre Londoniens et Ecossais pro-Europe et le reste du Royaume. Il a aussi libéré des pulsions xénophobes dont ont souffert les Polonais inquiets pour leur avenir. On a vu, a contrario, des milliers de manifestants acclamant l’Europe dans les rues de Londres sous la bannière aux douze étoiles. Les démarches de Britanniques désirant conserver un passeport européen se multiplient dans les ambassades, notamment celle de l’Irlande.
La crise des réfugiés
L’incapacité de définir et de faire exécuter une politique commune face au défi migratoire constitue un très lourd échec pour l’Union. Il s’agit d’une crise complexe dont on peut penser qu’elle sera durable et qui met en cause un acquis européen essentiel, la libre circulation des personnes. Au mouvement croissant depuis plusieurs années de migrants économiques en provenance de l’Afrique subsaharienne s’est ajouté un  afflux de réfugiés politiques ou de guerre venant principalement de Syrie  mais aussi d’Afghanistan, d’Irak, d’Erythrée et du Soudan. La répartition des réfugiés entre les Etats proposée par la Commission et décidée par le Conseil à la majorité qualifiée a été refusée par les pays du groupe de Visegrad. Le règlement de Dublin qui attribue la charge de l’asile au pays de première entrée dans l’Union impose une charge inéquitable à l’Italie et à la Grèce. La politique d’accueil de la Chancelière Merkel, largement soutenue au début par l’opinion publique allemande, suscite une opposition croissante de la part de la CSU bavaroise et du nouveau parti AfD (Alternative pour l’Allemagne) qui multiplie les percées électorales. Les initiatives de la Chancelière, peu concertées, s’expliquent par les réticences et les divergences des partenaires. Mais elles n’ont pas facilité la tâche de la Commission. L’accord conclu avec le président turc Erdogan  a contribué, avec la fermeture des frontières par les pays des Balkans à soulager quelque peu la Grèce et à reporter le flux vers la Libye et l’Italie et à multiplier le nombre de naufragés, sans parler du sort atroce de certains prisonniers des milices libyennes. Les difficultés de relocalisation des réfugiés à partir de la Turquie, le désaccord sur les visas accentué par la dérive autoritaire d’Erdogan, l’hypocrisie de la reprise des négociations d’adhésion laissent peser les plus grands doutes sur la pérennité de cet accord.
 Cette affaire des réfugiés est un piège redoutable pour une Union qui n’en avait pas besoin. Elle suscite des oppositions passionnelles entre les gouvernements tout comme à l’intérieur de chaque Etat Comment distinguer durablement les demandeurs d’asile politique les réfugiés de la misère et les migrants économiques ? Comment renvoyer ces derniers dans leur pays d’origine sans l’accord de leur gouvernement ? L’impératif humanitaire commande de sauver les passagers venant de Libye au risque d’encourager le trafic des passeurs. L’absence d’un pouvoir exerçant son autorité sur l’ensemble du territoire ou même du littoral ne facilite pas la conclusion d’un accord autorisant une intervention sous l’égide des Nations Unies. Poutine considérant que Français et Anglais ont outrepassé naguère l’autorisation qui leur avait été consentie, ne se montre guère consiliant. La création d’un corps de garde-frontières en principe décidée n’évitera pas la multiplication de drames humains qui n’ont pas fini d’interpeller la conscience des Européens. Pas plus que la France, l’Europe ne peut soulager, toute la misère du monde mais doit en prendre sa part suivant la formule de Michel Rocard. L’explosion démographique d’une Afrique où les zones de décollage. économique ne parviennent pas à l’emporter sur les zones de conflit constitue un défi qui dépasse les capacités des Européens. A long terme, ce défi relève du niveau mondial.
La déception de Bratislava
Le 16 septembre s’est tenu dans la capitale de la Slovaquie, en charge de la présidence semestrielle du Conseil, un sommet informel des Vingt-sept sans participation du Royaume-Uni. Ceux qui espéraient une relance de nature à rétablir la confiance dans l’avenir de l’UE après le choc du 23 juin auront été déçus. Pour marquer son regret, Matteo Renzi a refusé de s’associer à la conférence de presse commune des dirigeants allemand et français. La préparation de cette réunion a été marquée par l’apparition de regroupements animés davantage par la défense d'intérêts particuliers que par celui du progrès de l’Union : Europe du Sud des déficits, Europe centrale opposée à la répartition des réfugiés, Europe du Nord opposée à une union de transfert.
 Le seul élément positif me parait être l’apparition d’un débat sur la défense longtemps interdit par l’opposition de Londres. Il n’est certes pas question d’une armée européenne qui supposerait une diplomatie commune mais de la mise en œuvre de la « coopération structurée » prévue par le traité de Lisbonne et pouvant réunir un nombre limité de pays. La mise en place d’un état-major et le renforcement des coopérations en matière d’armements sont envisagés. Le fait nouveau, outre le Braxit, est l’évolution positive de l’attitude de l’Allemagne. Le souhait de la France de voir l’Allemagne prendre une part des charges de sécurité et de défense supposerait un partage de souveraineté qui n’est guère dans l’air du temps et qui est remarquablement absent de la pré-campagne présidentielle.   

Les doutes persistent sur l’avenir de la monnaie unique
Les divergences concernant la politique budgétaire ne se sont pas atténuées. Le respect par la France de la règle des 3% est compromis par les promesses électorales, l’Italie, dont les banques sont en difficulté, est menacée d’une crise politique en cas d’échec du référendum constitutionnel de Renzi prévu fin novembre, l’Espagne organise une troisième élection en un an ce qui laisse mal augurer du redressement de ses finances, la Grèce attend la restructuration d’une dette reconnue insupportable. L’indiscipline des pays du Sud nourrit le refus de solidarité des pays du Nord. La pratique des taux d’intérêt négatifs met en danger la profitabilité des banques sujettes par ailleurs aux amendes gigantesques imposées par les Etats-Unis comme sanction à la crise des subprimes. L’obligation imposée à Apple par la Commission européenne  de payer une somme de quelque douze milliards d’euros au titre des impôts dont elle a été abusivement dispensée est un nouvel épisode de cette bataille juridico-pénale autour des banques et, plus généralement des règlementations publiques.
L’avenir incertain des grandes négociations commerciales
L’échec de la négociation mondiale dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce a laissé place à une série de négociations bilatérales conduites par la Commission, sous la responsabilité de Cecilia Malmström, en vertu de la compétence exclusive de l’Union. Un accord avec le Canada (CETA) est en voie de signature. Sa mise en application est prévue dès sa signature. Il sera ensuite soumis à ratification par les parlements nationaux. Les Etats ont en effet obtenu que cet accord soit considéré comme mixte, c’est-à-dire relevant de la double compétence des Etats et de l’UE.
  Le plus important de ces accords est en cours de négociation avec les Etats-Unis. Connu sous le sigle anglais TAFTA ou TTIP, il vise non seulement à éliminer l’essentiel des barrières douanières que les négociations précédentes avaient laissé en place mais à harmoniser les règlementations concernant la sécurité, la santé et l’environnement. Les principales difficultés concernent les marchés publics et le règlement des différends que les Européens souhaitent confier à des juges publics plutôt qu’à des arbitrages privés. Ces accords suscitent une vive opposition, notamment en Allemagne.
 Le vice-chancelier Sigmar Gabriel vient d’obtenir l’accord du SPD pour la signature du CETA après avoir considéré comme morte la négociation du TAFTA. Contrairement aux négociateurs des Etats-Unis, les Canadiens ont accepté les demandes européennes relatives au règlement des différends et aux marchés publics. La France semble adopter la même position . Si l’on ajoute les réserves d’Hillary Clinton et la violente opposition de Trump l’avenir du TAFTA parait sombre. Faut-il le regretter ? Le principal intérêt que représenterait la création d’une zone de libre-échange transatlantique serait d’imposer des règlements communs à l’échelle mondiale, évitant ainsi dans le long terme que la Chine devenue la première puissance ne parvienne à imposer les siennes que l’on peut supposer moins protectrices. A contrario, les opposants redoutent que le TAFTA ne renforce, face aux Etats, la puissance des firmes mondiales.
La bataille de l’opinion
Force est de constater que les « européens » ont perdu la bataille de l’opinion. Les élites n’ont pas réussi à présenter la construction européenne comme un grand dessein méritant engagement et enthousiasme. L’insuffisance des résultats a rendu d’autant plus inaudible le discours de l’intégration que les gouvernements n’ont rien fait pour donner une dimension populaire à l’Europe, développer le sentiment d’appartenance à une communauté supranationale. Loin de chercher à fonder dans l’âme des peuples la citoyenneté de l’Union, ils ont utilisé celle-ci comme bouc émissaire en lui confiant les tâches impopulaires. L’absence de politique de rechange, l’évidence de l’adage suivant lequel l’union fait la force permet de ne pas renoncer à tout espoir.
    

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