16 novembre 2011

Un saut fédéral pour sortir de la crise ou de Védrine à Schäuble

Paris 16 novembre. Dans un article paru le 4 novembre dans Libération l’ancien collaborateur de François Mitterrand et ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac et de Lionel Jospin renouvelle l’attaque contre les fédéralistes à laquelle il s’était déjà livré dans le Monde daté du 29 juin et dans de multiples interventions sur les chaînes de radio et de télévision. Agaçé par les appels à la fédéralisation de l’Union européenne, voire aux Etats-Unis d’Europe, qui se multiplient en France et en Allemagne, Hubert Védrine qualifie le fédéralisme de mot-valise aux significations variables. Il accepte la version qui consiste à renforcer l’intégration économique et budgétaire autour du duo intergouvernemental franco-allemand mais rejette tout transfert de compétence à des institutions supranationales existantes ou en projet, qu’il s’agisse du Parlement, de la Commission ou d’un éventuel ministre européen des finances que propose Michel Barnier.
Plusieurs considérations militent cependant en faveur d’un saut fédéral. Elles tiennent à une triple exigence : efficacité dans la prise de décision, rétablissement de la confiance et légitimation démocratique.
L’épisode de la Slovaquie menaçant de bloquer le plan de sauvetage de la Grèce a démontré une fois de plus l’absurdité du maintien de la règle d’unanimité. La lenteur des décisions qui en résulte est à l’origine du discrédit dont souffre l’Union aussi bien auprès des peuples que des marchés. Le rétablissement d’une stricte discipline budgétaire demandé à juste titre par l’Allemagne devra, pour être supportable et acceptable, s’accompagner de la création d’un vrai budget commun alimenté par une fiscalité commune, d’un Trésor commun avec une capacité d’emprunt, l’un et l’autre au service d’une ambitieuse politique de retour à l’emploi par l’innovation et l’écologie. Ce sont autant de réformes qui seront déjà difficiles à obtenir par des votes majoritaires mais que la règle du veto rend inatteignables.
Le rétablissement de la confiance dans l’avenir de l’euro imposera tôt ou tard une mutualisation des dettes à laquelle l’Allemagne ne pourra continuer indéfiniment à s’opposer. Elle exigera en contrepartie une harmonisation rigoureuse des politiques budgétaires. Un nouveau traité sera nécessaire. Ce devrait être l’occasion de créer ces ressources propres sans lesquelles le programme 20 – 20 de modernisation connaîtrait le sort de l’agenda de Lisbonne. Les Britanniques qui redoutent les conséquences, notamment pour leurs banques, de l’aggravation de la crise ne pourront s’opposer au nouveau traité mais exigeront des dérogations qui accentueront leur marginalisation. Les autres pays non membres de la zone euro devront choisir entre le statut dérogatoire du Royaume-Uni ou un engagement européen confirmé leur donnant voix au chapitre dans le gouvernement de la zone euro.
C’est enfin sur l’exigence démocratique que se situe la ligne de partage entre les fédéralistes et les souverainistes. Pour ces derniers, parmi lesquels il n’est pas abusif de ranger Hubert Védrine, la démocratie ne peut s’exercer qu’au niveau national. Ainsi l’ancien ministre préfère-t-il la contrainte d’une rigueur imposée sans contrepartie par le partenaire allemand, dans un dialogue exclusivement intergouvernemental, à celle qui résulterait d’un débat politique ouvert au sein des institutions communautaires et en premier lieu du Parlement. Encore conviendrait-il pour que ce débat soit ressenti positivement par les opinions que l’on cesse d’utiliser l’Europe comme un nouveau FMI imposant l’austérité aux peuples et que l’on permette aux institutions de jouer un rôle qui ne soit pas exclusivement punitif. En multipliant les fonctions et les présidences, en renonçant à réduire le nombre des commissaires, on a affaibli l’ensemble des institutions. Le duo Merkel-Sarkozy, « Merkozy » comme disent les Anglais, a pris le pouvoir et obtenu, non sans atermoiements, quelques résultats. Ce duumvirat, qui irrite de plus en plus, ne saurait constituer une solution durable.
L’Europe n’a aucune chance de devenir un pôle de puissance capable de défendre ses valeurs et ses intérêts dans le monde des Etats-continents si elle ne parvient pas à développer le sentiment d’appartenance à une entité commune, amorce d’un patriotisme européen. L’émergence d’une démocratie européenne suppose l’organisation de débats électoraux transnationaux donnant naissance à une Autorité légitimée par le suffrage universel de peuples. Le ministre allemand Wolfgang Schäuble, poids lourd du cabinet Merkel, vient de nous le rappeler en recommandant dans un article publié dans le Monde des 13 et 14 novembre une réforme qui ferait faire un pas immense à la démocratie européenne : l’élection au suffrage universel du président de la Commission, proposition entérinée au congrès de la CDU-CSU. « Ce serait une vraie révolution. On aurait ainsi un gouvernement européen. » écrit cet homme d’Etat vieil ami de la France. Le même Schäuble, avec son collègue au Bundestag Karl Lamers, avait lancé en septembre 1994 un appel à la France en faveur d’un noyau fédéral qui resta sans réponse. La crise nous offre une occasion de réparer l’erreur de 1994. Saurons-nous la saisir ?

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