23 septembre 2007

Spinelli, une pensée plus actuelle que jamais

Paris, 23 septembre Les faux européens de toujours n’ont de cesse de proclamer la mort du fédéralisme. Le dernier en date est Hubert Védrine dans son rapport au président de la République sur la mondialisation. C’est oublier que dans une Europe élargie, rien n’est possible sans vote majoritaire et délégation à une autorité collective. Tous les Etats n’y sont pas prêts. Certes. Le jour viendra où le tri se fera entre ceux qui veulent l’union politique et ceux qui la refusent. Les pressions extérieures et les défis mondiaux y contribueront. Mais le combat pour faire admettre cette évidence ne doit pas cesser. Les fédéralistes ne doivent rien céder sur l’essentiel mais admettre que le fédéralisme européen devra être adapté aux spécificités européennes, donc accorder une place aux Etats dans le gouvernement de l’Union. Je viens d’adresser un message sur ce thème à Jo Leinen, président de la commission institutionnelle du Parlement européen dont je tiens le texte à la disposition des lecteurs de ce blog.
Les multiples hommages rendus à Spinelli, à Rome, à Ventotene, au Parlement, à la Commission confirment l’actualité de sa pensée si lucide et si forte. J’ai pris part à la commémoration organisée le septembre à la Commission, à l’initiative de Bino Olivi, longtemps Porte-Parole de l’institution et excellent historien de la construction européenne. Je retiens, parmi les multiples interventions, celles de l’ancien diplomate et commissaire belge Etienne Davignon, faisant observer que, dans l’Europe élargie d’aujourd’hui, le rôle de la Commission est plus nécessaire que jamais et avouant avoir été agaçé par le prophétisme de Spinelli avant de reconnaître la justesse de sa vision.
On trouvera ci-dessous un bref récit de mon voyage à Ventotene, où je me sentais sans doute abusivement, le représentant des nombreux militants qui eussent aimé faire ce pèlerinage.

Commémoration d’Altiero Spinelli à Ventotene

6 au 8 septembre 2007

Jeudi 6 septembre. Le train de nuit pris à Nice me dépose à Rome, à la gare Termini où je dois endurer une longue file d’attente pour obtenir un billet pour Formia, d’où un « aliscafo » me conduira à Ventotene. Descendu à pied vers le port où j’achète le billet de l’aliscafe et déjeune agréablement de gamberi garantis frais à la différence des scampi annoncés congelés, exemple remarquable de loyauté commerciale. Des touristes parlent français à une table voisine. Ils sont en villégiature à la station voisine de Formia vers le sud. Ils me conseillent la visite de Gaète et me prêtent leur chauffeur. Celui-ci se lamente sur le nombre excessif d’églises. On en compterait sept cents à Gaète. Aucune de celles auprès desquelles nous passons n’est ouverte. Revenu à Formia, je visite le musée archéologique sité à côté du Municipio. Le bâtiment est bordé de stèles antiques rapportant les dons faits à la cité par des notables dont les noms sont ainsi venus jusqu’à nous. Le musée contient un grand nombre d’amphores, quelques statues mutilées et un superbe buste de Tibère adolescent.
L’aliscafe a le mérite de la vitesse : une heure de traversée au lieu de deux par le ferry, mais il ne permet de voir la mer qu’au travers d’une vitre rarement nettoyée. Accueil sympathique à l’arrivée par Domenico Moro, président de l’Institut Spinelli. Le véhicule de l’hôtel prend les bagages et nous gravissons à pied les rampes qui nous conduisent d’abord à la place dominée par un imposant bâtiment municipal en forme de château crénelé, puis à l’hôtel Lo Smeraldo. Je parle au cours du dîner à Guido Montani, président du Mouvement fédéraliste européen, section italienne de l’Union européenne des fédéralistes et du Mouvement fédéraliste mondial. Il s’accorde avec moi pour penser qu’une union fédérale européenne ne serait pas le décalque des modèles fédéralistes existants. L’idée d’une présidence unique ne le choque pas ni celle d’un cabinet restreint de ministres à double casquette. Cet accord l’encourage à me faire part d’un projet de colloque sur ce thème d’un fédéralisme adapté aux spécificités européennes prévu dans un an.

Vendredi 7 septembre, je fais une première promenade dans le village. Mon espoir de trouver le cimetière où repose Spinelli est déçu mais je découvre la vue sur l’îlot voisin de Santo Stefano coiffé par une célèbre prison des Bourbons de Naples depuis longtemps désaffectée et laissée à l’abandon. Deux séminaires, l’un en anglais, l’autre en italien, sont destinés à la centaine d’étudiants venus des diverses Universités italiennes que l’Institut accueille. Les thèmes sont le fédéralisme et la situation de l’Europe aujourd’hui. A 11 h, un cortège se forme précédé de quelques officiels et de jeunes filles portant des bouquets. De grands drapeaux sont brandis dont l’étendard où se détache un E vert sur fond blanc, celui qu’on ne voit plus guère en France et que Michel Debré baptisait par dérision le caleçon vert des fédéralistes. Ce cortège se dirige vers le cimetière perché sur une colline à l’extérieur du village. Comme je l’avais observé en Corse, les tombes sont établies en élévation comme des tiroirs superposés. Chacune porte seulement le nom du défunt et ses dates de naissance et de décès, sans autre inscription et généralement sans signe religieux. Plusieurs discours se succèdent devant la tombe d’Altiero sous un soleil de plomb
Un déjeuner – buffet attend les organisateurs et les intervenants. C’est l’occasion de contacts avec le patron d’Il Mulino, l’éditeur de Spinelli, Alessandro Cavalli et avec Piero Graglia qui s’apprête à publier une biographie de Spinelli.
Long entretien avec Graglia pendant le dîner à l’hôtel. Il me révèle les origines très bourgeoises d’Altiero fils d’un banquier romain, me confirme la dureté de sa captivité dans diverses prisons avant l’aboutissement à Ventotene où étaient « confinés » les opposants jugés les plus dangreux. Le régime était moins rude mais la surveillance très étroite, sa rupture avec le parti communiste en 1936, l’isolement qui en fut la conséquence et suscita la compassion d’Ernesto Rossi, co-auteur du fameux manifeste. Il me confirme l’épisode de l’entretien Spinelli – Mitterrand de 1984 que j’avais contribué à organiser avec l’aide du conseiller diplomatique Morel. Tout cela avive mes regrets de l’absence de traduction en français de l’immense autobiographie d’Altiero. Graglia me propose aimablement de m’adresser par courriel quelques-uns des passages où mon nom apparaît. Je vais moi- même m’efforcer de trouver un éditeur pour une traduction française de la biographie de Graglia dont la sortie est imminente.
Samedi 8 septembre. Mon exposé sur Spinelli commissaire européen se situe dans la matinée après une communication d’une députée européenne. Un étudiant d’une taille imposante et fort sympathique assure une traduction phrase par phrase, ce qui m’oblige à abréger mon propos. Virgilio Dastoli, arrivé hier soir, parle après moi. Je réussis à comprendre un passage où il signale une prise de position de Spinelli, alors député italien, contre des achats de matériel militaire américain et pour la constitution d’une industrie européenne d’armement. Le public, jeune et enthousiaste, applaudit généreusement les orateurs. Je donne rendez-vous à Virgilio pour le déjeuner privé qui réunit un petit groupe au Giardino. Il déplore le manque d’engagement des fonctionnaires d’aujourd’hui pour la cause européenne. Il me promet de seconder mes efforts en vue d’une publication en français de la biographie de Spinelli à défaut de celle de ses Mémoires.
Dimanche 9 septembre, je fais ma valise, la laisse à l’hôtel et prends une embarcation pour Santo Stefano et la prison des Bourbons. Après le temps d’un dessin pendant les longues explications du guide, je découvre, avec le groupe de touristes, l’extraordinaire bâtiment circulaire puis réussis à m’échapper pour faire seul le tour de ce morceau de terre abandonné. La prison a été construite suivant le principe panoptique de Jeremy Bentham. De l’édicule central un surveillant pouvait observer les cellules situées sous des arcades réparties en un cercle presque complet. L’état d’abandon du bâtiment où subsistent cependant des portes branlantes encore munies d’une minuscule ouverture grillagée accentue l’atmosphère angoissante et romantique à la fois. Ce lieu pourrait, me dis-je, être transformé en un mémorial de toutes les souffrances des persécutés.

Aucun commentaire: