24 avril 2006

LEurope au printemps

24 avril Après quelques jours d’interruption dû à une panne de messagerie, je reprends mes commentaires de l’actualité européenne en reproduisant une contribution adressée à notre amie, la professeure Elizabeth du Réau.


Un triste anniversaire

Madame Elizabeth du Réau, organisatrice du colloque, a souhaité recueillir les commentaires des participants plusieurs mois après l’échec du referendum. Son initiative est heureuse à plusieurs égards. Elle contribue à secouer la chape de plomb que nos politiques font peser sur le débat européen, contrairement aux engagements pris. Alors que les passions commencent à s’apaiser, il est maintenant plus facile de mesurer l’ampleur des conséquences du NON des Français et des Néerlandais. Chacun enfin peut confronter ses analyses d’avant referendum aux réalités d’aujourd’hui. Je le ferai en dénonçant l’atonie du débat en France depuis le scrutin du 29 mai 2005 avant d’explorer quelques voies de sortie de crise.

Affaiblissement du couple franco-allemand, perte d’influence de la France, avais-je pronostiqué, à vrai dire sans grands risques. La proposition de sélectionner quelques éléments dans le traité a fait l’objet d’un rejet poli mais catégorique de Berlin. Celle d’un Directoire des « grands Etats » chère à Nicolas Sarkozy a subi le même sort, tout en irritant bien inutilement nos amis les plus proches, ainsi qu’en témoigne un paragraphe explicite du récent livre du Premier ministre belge « Les Etats-Unis d’Europe ». La Pologne même, qui aurait pu se sentir flattée d’être rangée parmi les grands, n’a marqué aucun intérêt. Notre présent alignement sur les positions américaines dans les affaires iranienne et palestinienne, sans doute justifiable, n’en marque pas moins une rupture avec la posture glorieuse et appréciée des Français de Dominique de Villepin aux Nations Unies. Il va de soi que les émeutes de novembre et l’abandon du Contrat Première Embauche n’ont pas contribué à l’amélioration de notre image et à l’affermissement de notre influence.

A la tête d’un pays craintif et pessimiste, le président Chirac aurait pu, avec l’ardeur des convertis de fraîche date, montrer aux jeunes français ce que la construction européenne avait de miraculeux si l’on regarde en arrière, et de prometteur pour l’avenir, en dépit des difficultés du moment. Le « je ne vous comprend pas » du discours aux jeunes, au demeurant bien mal sélectionnés, a pesé lourd, de même que risque de peser lourd l’atonie d’aujourd’hui. Sur ce triste chapitre du grand silence sur l’avenir de l’Europe, l’Opposition n’est pas en reste. Fascinée par l’extrême gauche, intimidée par Laurent Fabius au point d’avoir confié les affaires européennes à un adversaire de la Constitution, le parti socialiste est entièrement absorbé par la récupération difficile du mouvement étudiant et par la gestion non moins difficile, y compris pour son Premier secrétaire, de l’ascension de Ségolène Royal. Celle-ci ne fait, pas plus que les autres, entendre sa voix alors qu’elle avait courageusement milité pour le OUI. Elle semble attendre les avis de ses correspondants électroniques.

La tristesse de ce qui se passe chez nous incite à regarder ailleurs. Parmi les diverses propositions, l’une des plus intéressantes me parait être la contribution au débat parue le 16 février 2006, dans l’Observatoire social européen, organe de la Confédération européenne des syndicats.

En résumé cette contribution:

- rappelle que le Traité Constitutionnel, une fois entré en vigueur, sera révisable au même titre que les Traités précédents;

- propose que le Conseil européen adopte une déclaration prévoyant une telle révision à une échéance fixée (comme ce fut le cas pour les Traités de Maastricht, Amsterdam et Nice);

- propose que cette déclaration porte sur les deux thèmes de "la gouvernance économique et des conséquences sociales du marché intérieur"...

- ... ainsi que sur "la possibilité de soustraire les dispositions de la IIIème partie du texte même de la Constitution";

- estime que le Traité Constitutionnel - inchangé mais complété par cette déclaration - "pourrait être re-soumis à la ratification de la France et des Pays-Bas en 2007, après leurs élections présidentielles et/ou législatives";

- constate que la Constitution européenne pourrait ainsi entrer en vigueur début 2009 (comme le souhaite le Parlement européen).

Le Conseil européen doit se saisir du problème en juin. L’ambiance médiocre des débats de sa session de printemps consacrée à l’énergie, l’absence de réel débat sur l’avenir de l’Europe ne laisse que peu d’espoirs. Chacun attend les élections prévues en 2007 en France et aux Pays-Bas. Notons cependant l’intention des Finlandais et des Suédois de poursuivre leur procédure de ratification du traité constitutionnel.

La montée du Parlement est un élément encourageant dans cette atmosphère délétère. Le compromis sur la directive services, celui difficilement obtenu sur les risques chimiques, l’accord sur le budget, un peu moins restreint qu’on pouvait le craindre, l’ouverture d’un débat avec les Parlements nationaux et la société civile sont autant de succès du Parlement. Encore faudrait-il que les citoyens en soient informés. Qu’attendent nos chaînes de télévision pour accorder un créneau grand public au Parlement européen, comme le fait avec succès FR3 pour le Parlement français ? Il ne s’agirait certes pas de diffuser une partie des débats mais d’offrir une tribune de discussion informative aux principaux leaders, de préférence francophones.

Bien d’autre mesures seraient nécessaires pour rendre l’Europe plus populaire, thème d’un intéressant rapport du député Herbillon, publié à la Documentation française sous le titre « La fracture européenne » et contenant 40 propositions. Plusieurs d’entre elles ont été approuvées lors d’un colloque réunissant 14 associations européennes à l’initiative d’ARRI (Association Réalités et Relations Internationales). Parmi celles-ci trois méritent une attention particulière, l’aide à la reconversion des travailleurs victimes de délocalisations proposée par la Commission, la généralisation du service civil européen qui fait l’objet d’une pétition lancée par les Jeunes Européens, enfin la création ou le renforcement de services communs capables de protéger, sous le drapeau européen, les populations contre les fléaux d’origine humaine ou naturelle (criminalité internationale, immigration sauvage, catastrophes naturelles).

L’échec à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne qui devait faire de l’Europe la zone la plus compétitive du monde est pour beaucoup dans le malaise actuel et dans la montée de l’euroscepticisme. A des annonces exagérément ambitieuses auraient dû répondre une volonté de réformes non moins ambitieuses, à commencer par un transfert significatif de ressources européennes et nationales, publiques et privées vers la recherche et l’innovation. Pour majorer l’effet de ces transferts, il aurait fallu mettre en commun, dans un budget consolidé, l’ensemble des dépenses de recherche sans oublier les recherches militaires. La création d’une Agence d’armements sans budget est symptomatique d’une Europe riche en intentions mais pauvre en actions.

C’est à tort, en revanche, que des voix s’élèvent, de divers cotés, pour imputer au pacte de stabilité et à la politique de la Banque centrale la croissance médiocre des principaux pays de la zone euro. Accroître une dette déjà excessive au détriment des générations à venir relèverait de l’irresponsabilité. On peut, en revanche, regretter l’insuffisance d’harmonisation des politiques budgétaires, sociales et fiscales au sein de la zone.

J’avais enfin dans ma brève intervention de l’an dernier fait une place au rôle que devrait jouer l’Europe dans la nécessaire mais toujours remise à plus tard réforme des Nations Unies. J’ai été heureux d’apprendre que le Commissaire Louis Michel, ancien Premier ministre belge avait fait d’intéressantes propositions en vue d’une meilleure coordination des Agences spécialisées sous l’égide d’un Secrétariat général renforcé. La jeunesse d’aujourd’hui est spontanément plus mondialiste qu’européenne. C’est en lui montrant que l’union des continents et d’abord du nôtre est une étape nécessaire en direction d’une solidarité universelle face aux défis qui menacent l’humanité que nous rendrons à la construction européenne sa dimension historique et sa signification éthique et, par là même, l’attrait qu’elle a perdu auprès d’une partie de la jeunesse.

Aucun commentaire: